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Visite de l’exposition La pente des choses au POCTB
avec Vanessa Dziuba et Jean-Philippe Bretin
à Orléans en février 2017
 
Vanessa Dziuba: J’ai réalisé et pensé l’accrochage de cette exposition en collaboration avec Jean-Philippe Bretin. C’est la première fois que nous exposons ensemble, seulement tous les deux, bien que nous travaillons depuis longtemps sur des projets communs. La pente des choses est articulée autour de nos deux dernières séries de dessins et présente aussi des éditions du collectif Modèle Puissance, dont nous avons fait partie. Dans ce collectif, nous étions quatre et nous éditions des livres. Nous avons voulu exposer certains d’entres eux au POCTB et les juxtaposer avec nos deux dernières séries respectives.


Sans titre de Jean-Philippe Bretin, fraisage numérique sur médium peint et cire, 2016
avec normographe Architecture noire de Vanessa Dziuba, pmma découpé au laser, 2013


Jean-Philippe Bretin: Je suis graphiste et la question que je me suis posé, dans cette exposition, c’est «comment je peux, dans cet espace qui est plutôt dédié à l’art contemporain — intervenir ?». J’ai voulu procéder avec mes habitudes de designer graphique, c’est-à-dire en faisant un travail de sélection d’images, de cadrage, d’adaptation à un format et de recherche sur des solutions de reproduction. Cette série est un ensemble de planches de mélaminé dont les formats et les proportions appartiennent au domaine de la peinture. Ce qui semble être des dessins abstraits sont en fait des cadrages de dessins réalisés précédemment et qui n’avaient pas vocation à être exposés. Ce sont des esquisses de projets de commande, des prises de notes réalisés pendant des visites d’exposition… Ce dessin, sur cette planche par exemple représente une œuvre de la Cité de la Céramique à Sèvres, celui-là est un dessin de La Lamentation sur le Christ mort de Mantegna, avec sa perspective exagérée et ceux là sont extraits d’essais pour une bande dessinée que l’on m’a commandé.

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JPB      Celui-là, le rose et gris et aussi celui qui est gravé sur les quatre panneaux colorés. Depuis quelques années je ne montre plus de dessins originaux lors des expositions, seuls les dessins passés à travers le prisme de la reproduction m’intéressent. En parallèle, mon dessin s’épure et ici je me suis concentré sur quelques détails de mes dessins, la jonction entre deux traits, la texture d’un tracé, des éléments que je ne cherche pas à produire quand je dessine mais que je viens piocher à posteriori… À partir de ce choix, l’image est numérisée puis gravée par une fraiseuse numérique. C’est elle qui va reproduire le dessin sur le format. C’est important pour moi cette question de la reproduction par un robot. Elle contient à la fois mon geste, dans sa fragilité ou vitalité, mais aussi une froideur et une précision qui n’appartient qu’à l’outil. Enfin la dernière étape est un geste proche de celui d’un sculpteur, c’est-à-dire que je viens suivre le tracé creusé en intégrant  et rabotant une matière dans ce bois — qui a des qualités de texture et de brillance. Je cherche la bonne matière à ajouter, cela peut être comme ici une pâte à modeler rose qui va sécher, là une cire grasse pigmentée ou de la cire d’abeille.


Sans titre de Jean-Philippe Bretin, fraisage numérique sur médium peint et cire, 2016

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JPB      Le dessin est gravé par une machine. La machine fait ce geste qu’on pourrait dire de peintre ou de graveur. C’est perturbant à observer, cette reprise du geste, un peu comme Present Continuous Past(s) de Dan Graham, mais avec des mois de décalage et par un bras mécanique.
La machine creuse, on peut voir la profondeur du tracé, qui est de cinq à six millimètres. Ce qui m’intéresse c’est de passer d’un dessin figuratif, une prise de note, à tout autre chose, proche de la peinture abstraite, à travers des étapes qui convoquent le graphisme, les machines-outils et des gestes de sculpteur…

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VD      Nous avons rythmé l’accrochage en fonction des couleurs des différentes pièces. L’ensemble est très coloré quoique dans des gammes non franches. J’utilise certaines couleurs de manière récurente comme le bleu phtalo, le jaune de Naples, un rose sale et du marron. Jean-Philippe n’a pas décidé des couleurs de ses planches. Le bois a été trouvé dans la rue et il avait été déjà peint. Nous avons décidé d’accrocher les livres comme des sculptures en les faisant flotter au mur. Ils sont en relation directe avec les dessins et les planches de bois, tout en les laissant manipulables par les visiteurs. 


Vases communicants de Vanessa Dziuba, aquarelle et gouache sur papier, 2016

VD      Ma dernière série en cours s’appelle Vases communicants ». C’est une série d’aquarelles et de gouaches. Je réalise plusieurs motifs de manière simultanée sur des feuilles de papiers de formats identiques de 110 × 70 cm. J’essaie, dans ma gestuelle, d’être le plus fidèle à mon motif pour le reproduire sur ces différentes feuilles. Je conserve la même construction de l’image, le placement des différentes couleurs reste identique d’une feuille à l’autre, tout est fait simultanément. Ensuite, je découpe dans les papiers une forme architecturale, toujours la même et au même endroit. Je ré-assemble les morceaux en les déplaçant d’un format à un autre. Cela fait que telle partie du premier dessin se retrouve assemblée dans le deuxième dessin… Je permute chacun des éléments pour les repositionner. Cela produit ce léger décalage qui existe dans le motif et crée cette forme fantôme. Les formes que je découpe, je les dessine au préalable. Je souhaite qu’elles puissent être saisies dans différentes échelles, elles sont liées aux formes de l’architecture — au Mouvement moderne notamment ainsi que par le Brutalisme — ou bien issues du design — comme des vases de Martine Bedin du groupe Memphis par exemple. Je puise dans des références volontairement antinomiques car elles sont pour moi ce qui me permet cette réflexion sur la mécanique du motif. Souvent, dans mon travail, je travaille avec des formes qui proviennent de ce qui m’entoure mais elles ne sont pas figuratives pour autant. Ce sont des formes issues de mon environnement que je rend synthétique, pour produire une forme qui pourrait être abstraite mais qui au fond ne l’est pas tout à fait, elle se situerait un peu entre les deux, une sorte d’abstraction narrative.


Vases communicants de Vanessa Dziuba, aquarelle et gouache sur papier, 2016


détails de Vases communicants de Vanessa Dziuba, aquarelle et gouache sur papier, 2016

VD      Je considère mes peintures comme des dessins. Ma pratique est issue du dessin. Malgré la couleur et la fluidité, c’est un travail sur papier. Les formes apparaissent subtilement dans le motif par l’assemblage et c’est cette forme qui perturbe le motif. Lorsqu’on est loin du dessin, le motif absorbe la forme découpée et on a du mal à la distinguer. On voit qu’il y a des coupures et des décalages du motif. Si on s’approche du format, on perçoit mieux les formes découpées. Elles sont plus nettes dans cet élément liquide de la peinture. Ce que je souhaite faire avec cette série c’est perturber le motif pour révéler les endroits où celui-ci n’est pas exactement bien reproduit. Je dessine par l’absence du trait, c’est la découpe et la limite entre les différents supports qui créent la forme.


[Au sous-sol]



Report poster de Jean-Philippe Bretin, impression offset et sérigraphie, 2016

JPB      On a eu envie que, dès l’arrivée dans cette salle, on soit surpris par ces affiches qui sont visuellement, disons, agressives. Cette série, elle joue beaucoup sur son aspect noir/blanc, sur la répétition d’une scène où il ne se passe rien. Une vue d’exposition vide. C’est une série d’affiches qui est imprimée d’une part d’une manière industrielle, en offset, sur lesquelles il y a par la suite une intervention en sérigraphie, qui est argentée, argentée bleu, saumon et kaki ainsi qu’un dégradé. Accrochées ensemble, elles recréent une nouvelle image. Des pièces vides produisent tout de même de la narration par le fait de créer une succession de vignettes. C’est quelque chose qui se rapproche de certaines formes de bande dessinée.
Qu’est-ce que cela crée de répéter toujours la même chose ? Je produis des images différentes à partir d’une image identique.
Avec le collectif Modèle Puissance, nous étions occupés chacun à épuiser certaines images, en les utilisant et les ré-utilisant plus tard pour de nouvelles pièces. On essayait de voir ce qu’elles pouvaient devenir si on les utilisait avec un autre système d’impression ou une autre échelle, de l’imprimer dans un livre… Ce tissu qui est derrière nous, par exemple, est issu de ce phénomène de rebondissement.  

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VD      Ce n’est pas tant le statut éphémère mais plutôt ce que nous souhaitons affirmer c’est quelque chose qui a à voir avec le matériau pauvre qu’est le dessin. La pratique du dessin sous forme d’édition n’a pas forcément besoin ici d’être encadrée. Une affiche, ça se punaise ou ça se colle au mur. Nous voulions que l’accrochage soit sans fioriture, voir brutal. Une tringle à rideaux pour un rideau, c’est ce qui nous semblait être le plus évident pour signifier l’objet pratique. Ici ce sont des multiples, des affiches, les punaiser discrètement nous permet de les placarder et recouvrir le mur. Nous avons aussi envie de mélanger les genres, d’avoir des images qui font appel ou sont issues à la fois du design, de l’architecture, de l’édition, de la bande dessinée ou qui font référence à la fois à l’art contemporain et à l’art appliqué. 

JPB      Par exemple, on a exposé un multiple de Vanessa, Architecture noire qui est un normographe, que nous avons posé sur une de mes plaques de bois. Ce geste fait que cette pièce redevient ce qu’elle était au départ: une simple plaque de contreplaqué. Elle est une étagère. Ce que nous montrons de plus noble c’est une reproduction d’un extrait des aventures de Tintin, elle est mise sous un verre, avec un passe-partout. C’est la seule image que nous n’avons pas faite et qui est décisive pour nous.

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échantillon de tissu réalisé pour la collection Paris Museum Tour, printemps/été 2015, Andréa Crews/Modèle Puissance, 2015

VD      C’est une laize d’un motif imprimé sur un rouleau de tissu. Ce tissu imprimé a servi pour faire les vêtements de la collection printemps/été de Andréa Crews de . Il est posé sur une barre de rideau. Le motif représente un espace d’exposition où des dessins se sont transformés en sculpture. On y retrouve les histoires qu’on affectionne : des histoires d’échelles, de reproductions, d’imbrications des motifs. On expose un tissu qui montre une exposition.

JPB      Sur cet objet, les quatre membres du collectif Modèle Puissance sont représentés. Nous ne produisions pas d’image ensemble, c’est une exception car ce travail nous a été commandé.

VD      Nous avons transformé nos dessins en les plaçant dans des vues de salles d’expositions, ils sont alors devenus des sculptures. À côté du tissu, nous avons aussi accroché ces deux impressions numériques. Ce sont deux images qui montrent le recto et le verso d’un même collage. L’idée c’est de pouvoir prendre une image et diviser sa matière en deux, la couper en deux, en tirant dessus pour pouvoir étaler son recto et son verso sur une seule surface. On peut voir à la fois sa face et son dos et cela révèle sa construction physique, qui est constituée de morceaux d’éléments peints et reconstitués. Le verso laisse apparaitre des petits bouts de scotch qui permettent de faire cette forme. Il y a cette idée d’ouvrir un espace qui n’existe pas, de diviser une matière et de la fendre de toute sa longueur pour changer sa physicalité. Je ne pouvais le faire qu’en passant par l’impression. Je ne montrerai jamais les dessins originaux qui m’ont servi à faire ces deux impressions, pour moi ce sont ces images reproduites qui deviennent ce qui est le plus important et d’une certaine manière l’original.  


Recto Verso de Vanessa Dziuba, impression jet d’encre numérique sur papier, 2016

[Retour au RdC] 


Reproduction d’une case des Cigares du pharaon de Hergé 

VD      C’est une reproduction d’une case qui est dans la première édition des Cigares du Pharaon. Une version en noir et blanc. C’est le moment où Tintin voit le fakir qui empoisonne le maharaja, il vient de sortir du palais et va s’échapper. Tintin le suit, cette image montre le moment où il perd l’homme de vue après l’avoir vu tourner derrière le palmier. Il pense qu’il est monté en haut de l’arbre et en réalité il se rend compte que le palmier est une supercherie. Il peut appuyer sur un bouton pour ouvrir la surface du tronc. À l’intérieur, il y a un puits.

JPB      C’est donc ensuite qu’on voit les fameuses images avec toute la confrérie. Pour nous, cette case synthétisait beaucoup de questions qu’on avait par rapport à l’exposition. Au première regard, on pense une chose et sa logique puis lorsqu’on s’attarde sur une surface, on s’aperçoit que cela se passe ailleurs. Quand on regarde de loin les séries des vases communicants de Vanessa, on pense que c’est simplement un motif qui est représenté. Quand on se rapproche, on comprend finalement qu’il y a une forme qui se dégage qui crée un relief alors qu’on est dans quelque chose de très plat.  

VD      Jean-Philippe creuse à l’intérieur des plaques pour produire un dessin. Le trait est en réalité un trou, qui, rempli de nouveau, devient une surface. Le motif quadrillé du palmier est aussi un motif récurent que j’exploite beaucoup dans mes dessins et qui, dans le travail de Jean-Philippe, évoque plutôt la trame et par extrapolation ce qui est imprimé. Cette reproduction d’image est aussi pour nous une manière de mettre en valeur ce qui nous préoccupe au delà du dessin, le livre, l’édition et le multiple. C’est ce qui nous permet de montrer des dessins autrement que par le biais de l’original.


Palmier, de Jean-Philippe Bretin et Vanessa Dziuba, pastel sur affiche, 2017

L’affiche est la première chose qu’on voit en arrivant, avant même de rentrer dans l’exposition. Elle est une évocation du dessin avec Tintin, au motif du palmier. Le dessin de l’affiche est issu d’un tout petit dessin au stylo bille, très spontané, que j’ai fait pendant les moments où l’on parlait de l’exposition avec Jean-Philippe, de ce dont nous avions envie de faire et de raconter. Nous avons décidé de reproduire ce petit dessin de 5 × 5 cm sur le dos bleu d’une ancienne affiche que Jean-Philippe avait fait en 2014.  

JPB      C’est un format d’affiche publicitaire standard.

VD      Elle raconte toutes nos préoccupations et notre manière de procéder à la fabrication de nos images: c’est une affiche, qui est en réalité le dos d’une ancienne affiche, faite en plusieurs exemplaires. Elle joue l’agrandissement de quelque chose d’imprimé mais elle est faite à la main. Le dessin est lui même issu d’une image imprimée que nous avons nous même reproduit et exposé. Nous imbriquons toujours des images les unes dans les autres.