Voir (e) penser
de Fabrice Bourlez
janvier 2014
texte écrit à l’occasion de l’exposition “L’exposition du catalogue” du collectif Modèle Puissance à la galerie 65, EsadHar, Le Havre
Il s’agirait de s’inscrire dans le contemporain. Il s’agirait de créer. Affirmer les multiplicités. Ne pas craindre les détours, les rencontres, les faux-pas. Laisser une trace.
Pourtant, Partout, le triomphe exaspéré de l’image. In-interruption de son flux. Obligation du voir. Transparence, contrôle, surveillance, hyper-présence, caresses virtuelles, jouissances plates des écrans, tristes surabondances d’objets soldés. Bref, impossibilité de se soustraire à la domination de l’imaginaire.
Eh quoi ? Les larmes doivent-elles couler pour autant ? Faut-il, sous prétexte de son omniprésence, de son alliance avec le post-capitalisme et avec les nouvelles technologies, pleurer devant les vagissements perpétuels du veau d’or ? Se désespérer face à la mort du sens ? La seule issue passe-t-elle par la prière du point d’arrêt ? Paupières closes, dans le recueillement d’une tranquillité gagnée à la force du verbe qui dirait Vrai. Un peu de cadre : de l’Universel, du Dire pour dompter le voir…
À moins qu’au contraire — loin des tristes barbes maugréant contre la disparition du tout puissance ordre symbolique et tout contre la débauche du spectacle globalisé — on ne se réjouisse des reproductibilités techniques, de la profusion chaotique sans cesse en train de défaire, de refaire, de surfaire ? Puissances d’agir : re-tournements, re-significations, dé-multiplications. Économies précaires, low-tech à profusion, bricolages à répétitions. Libérés des hiérarchies, enfin autorisés, s’emparer de chaque chose, du moindre truc, en faire une arme anti-asphysie. Trouver de l’air.
Feu de tout bois, donc ! Du porno trash, du manga, de la variétoche à papa (Dalida, Mylène, Lady Gaga ou Frédéric François), des avants-gardes expérimentales, du chocolat noir, du Dietorelle, du fast-food et même du plus conceptuel (Kosuth, Debord en première ligne, Deleuze pas loin derrière) : qu’on regarde en streaming, qu’on télécharge, qu’on googlise, qu’on post, qu’on bloggue, qu’on tweete, qu’on text’, qu’on mdr, qu’on lol, qu’on smileyse. ah, s’en mettre plein les yeux en quelques clics et vite.
Quick, quick, send me a pic.
L’original perdu, s’enfoncer encore et encore dans les modèles reflétés, dans l’hémorragie constante de l’unique. Alimenter le monde de multiple. Et d’éditer encore et toujours : que les séries prolifèrent, si elles goûtent ailleurs que dans la fadeurs des exhausteurs.
D’aucuns restent cois devant la force du déluge technologique, ici, on essaierait plutôt d’offrir des pistes à une nouvelle pragmatique de l’image, voir(e) penser.
Fabrice Bourlez